Éducation
La définition de l’action « éduquer » proposée par Émile Durkheim (1922/1968, p.10), le père de la sociologie française, est toujours d’actualité et peut s’appliquer autant aux enfants qu’aux adultes. Pour Durkheim, l’éducation constitue une « socialisation méthodique » et consiste en actions exercées par certaines personnes sur d’autres afin de susciter, chez les premières, « un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que réclament [d’elles] et la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné ».
En suivant Durkheim, de nombreux auteurs insistent sur l’idée que l’éducation est une action visant intentionnellement un changement, contrairement à la socialisation qui n'est pas caractérisé par une intention explicite. Ainsi, lorsqu’une intention est attribuée à la socialisation, celle-ci tombe alors dans le champ d’«éducation ». Par exemple, certains processus de socialisation selon des valeurs et des normes sociales en cours dans une société sont devenus l’objet de la réflexion et des actions d’éducation intentionnellement mis en place : l’éducation à la citoyenneté, l’éducation financière, l’éducation sexuelle, l’éducation à l’environnement… Autrement dit, on « réserve le terme d’éducation à l’ensemble des actions conscientes de socialisation, se repérant à leur aptitude à élaborer un discours définissant les fins qu’elles s’assignent, et ne pouvant par-là inclure les actions à effets de socialisation non intentionnels » (Plaisance, 1999. p. 535).
En assurant la transmission intentionnelle des acquis culturels et technologiques des sociétés humaines, l’éducation permet de distinguer l’homme de l’animal :
- […] l’éducation est apparue en même temps que la vie en groupe, le langage, le travail, l’art, donc en même temps que l’être social et l’humanité […] Ce qu’on appelle hominisation est impossible sans éducation. À la différence de l’animal, l’être humain naît en quelque sorte deux fois. D’abord comme animal, c’est-à-dire comme un être naturel, puis comme humain, c’est-à-dire comme un être de culture. Or, cette seconde naissance est justement rendue possible par l’éducation, qui assure ainsi le passage, et, jusqu’à un certain point, la rupture, entre la nature et la culture. Dans cet esprit, on pourrait définir l’être humain comme un animal éduqué" (Tardif, 2012, p.11).
L’éducation se distingue de l’enseignement par son caractère dyadique : on éduque quelqu’un, mais l’objet de cette éducation n’est pas explicité dans le détail. En revanche, l’enseignement est conceptualisé en tant qu’action triadique : quelqu'un enseigne quelque chose à quelqu'un (ce qui est exprimé schématiquement sous forme de "triangle pédagogique"). De plus, on conçoit l’éducation plutôt comme une action à long terme (Berbaum, 1994; Reboul, 1981). Si l’on peut néanmoins parler des visées éducatives, celles-ci évoquent plutôt des valeurs et des normes sociales : on parle ainsi de l’éducation aux bonnes mœurs ou de l’éducation à la citoyenneté.
Divers systèmes éducatifs se sont constitués progressivement en intégrant des pratiques et des institutions sociales de transmission des valeurs, des connaissances et de la culture. Un système éducatif permet de perpétuer « l’idéal d’homme » d’une société donnée, car « bien que l’éducation ait pour objet unique et principal l’individu et ses intérêts, elle est avant tout le moyen par lequel la société renouvelle perpétuellement les conditions de sa propre existence » (Lesne et Minvielle, 1990, p. 33).
Selon les valeurs qui orientent les systèmes éducatifs, ceux-ci peuvent remplir des fonctions antinomiques de : 1) la reproduction de l’ordre social établi et de la préservation des intérêts de la classe dominante (caractéristiques notamment mises en lumière par les sociologues de l’éducation, par exemple Pierre Bourdieu et Basil Bernstein) 2) la libération de l’être humain, i.e. son émancipation (caractéristiques mises en lumière par des pédagogies de conscientisation, par exemple celle de Paolo Freire).
La plupart des grandes figures de la pédagogie européenne des XIXe et XXe siècles, associées au courant des pédagogies nouvelles (Freinet, Montessori, Pestalozzi…), ont mis de l’avant l’importance d’une vision humaniste de l’éducation, respectueuse des droits de l’être humain à la dignité et à l’épanouissement de tous les aspects de sa personnalité. C’est aussi la vision qui anime les courants andragogiques, intégrant la psychologie humaniste de Carl Rogers d’une part, et les idées d’émancipation de Paolo Freire, d’autre part.
Références
Berbaum, J. (1994). Apprentissage et formation. Paris: PUF.
Durkheim, É. (1922/1968). Éducation et sociologie. Paris, France: Presses universitaires de France.
Plaisance, É. (1999). Socialisation. Dans J. Houssaye (Ed.), Questions pédagogiques. Encyclopédie historique (p. 532-543). Paris, France: Hachette Éducation.
Reboul, O. (1981). La philosophie de l'éducation (3 ed.). Paris: PUF.
Tardif, M. (2012). Les Grecs anciens et la fondation de la tradition éducative occidentale. Dans C. Gauthier & M. Tardif (Eds.), La pédagogie : théories et pratiques de l'Antiquité à nos jours (3 ed., pp. 9-36). Montréal, Canada: Gaëtan Morin éditeur.
Lesne, M., et Minvielle, Y. (1990). Socialisation et formation. Paris: Païdeia.