Instructional theory
Les chercheurs s’inscrivant dans le paradigme de la Instructional theory, partie intégrante du champ de la technologie éducative dans la perspective nord-américaine, proposent d'élaborer des connaissances scientifiques sur l’enseignement au sens large (instruction) en prenant appui tout d'abord sur les connaissances scientifiques sur l’apprentissage (Carr-Chellman, 2004; Clark, 2008; Merrill, Barclay et Schaak, 2007; Merrill, 2001; 2013 ; Paas, Renkl et Sweller, 2003; Reigeluth et Carr-Chellman, 2009; Richey, Klein et Tracey, 2011; Sweller, 2004).
Objectif de Instructional Theory : développer des connaissances sur les méthodes d’enseignement favorisant l'apprentissage
L’objectif explicite des chercheurs oeuvrant dans cette perspective est d’identifier des « methods that will best provide the conditions under which learning goals will most likely be attained » (Driscoll, 2000, p. 344).
Il s’agit de décrire les moyens permettant de favoriser l’apprentissage soit « a variety of methods of instruction (different ways of facilitating human learning and development) » et des principes précisant « when to use--and not use--each of those methods » dans la pratique educative (Reigeluth, 1999, p. 8).
Ainsi, dans ce paradigme les chercheurs souhaitent élaborer des connaissances sur :
- Les méthodes d'enseignement (instructional methods) qui favorisent l’apprentissage et le développement cognitif;
- Les indications sur les conditions de l’utilisation des méthodes (instructional conditions, qui ne doivent pas être confondues avec learning conditions) qui précisent quand utiliser (ou pas) une méthode donnée. Ces conditions sont également appelées « situationnelles » et concernent le type de milieu éducatif, les caractéristiques des apprenants, etc.
Démarche scientifique privilégiée
Dans ce paradigme, la démarche privilégiée pour construire la théorie de l’enseignement est une démarche déductive : il s’agit de s’appuyer sur les énoncés descriptifs composant une théorie de l’apprentissage humain et d’en déduire des énoncés normatifs et prescriptifs de la théorie de l’enseignement. Comme le précisent Elen et Clarebout (2008, p. 710) :
- « In developing the model, the instructional designer analyzes a learning theory and is especially interested in what the theory specifies to be important learner variables (internal conditions) and environmental factors (external conditions). The elaboration of the instructional design model implies the application of the learning theory to a specific instructional context. The model specifies the instructional implications of the learning theory. ”
La figure ci-dessous illustre schématiquement la démarche scientifique privilégiée dans le cadre de ce paradigme.
Un avantage important de cette façon de procéder est que la théorie de l’enseignement ainsi construite peut, et même doit, évoluer pour rendre compte des progrès des recherches sur l’apprentissage. Si les premières théories de l’enseignement de ce type ont été des théories béhavioristes, elles ont évolué avec les progrès des recherches sur l’apprentissage. Ainsi, le véritable essor du paradigme de Instructional Theory date des travaux pionniers des chercheurs qui se sont situés, à partir des années 60 du XXème siècle, dans la perspective cognitive de l’apprentissage : Robert Gagné, Benjamin Bloom, David Ausubel et Jerome Bruner. Chacun de ces chercheurs a mis en œuvre une démarche déductive, utilisant les résultats des recherches sur l’apprentissage – mettant notamment en évidence le rôle et la fonction de la mémoire - élaborées par la psychologie cognitive et visant à concevoir les implications théorico-pratiques pour l’enseignement.
Caractéristiques des théories et des méthodes d'enseignement élaborés dans le cadre de ce paradigme
Trois idées importantes caractérisent les travaux réalisés dans le cadre de ce paradigme.
- Comme le soulignent Reigeluth et Carr-Chellman (2009), le terme « théorie » n’est pas unanimement accepté pour décrire ce type de savoir d’ordre pratique, pragmatique ou instrumental. Certains auteurs préfèrent parler de « modèles » pour décrire les théories prescriptives et de réserver le terme de « théorie » aux connaissances descriptives, autrement dit, aux théories élaborées afin de comprendre ou expliquer un phénomène.
- Le degré d’élaboration des connaissances de ce type est variable, ce qui se reflète dans l’utilisation des termes différents pour les décrire. Ainsi une théorie prescriptive peut être appelée modèle, méthode, stratégie, technique, tactique… Mais dans tous les cas il s’agit des connaissances élaborées afin de guider l’action éducative.
- Le savoir prescriptif tel qu’il est élaboré dans ce paradigme est « orienté par le but » (goal-oriented). Cette caractéristique est en fait celle de toutes les sciences de « design »” ou des « sciences de l’artificiel », selon l’expression forgée par Herbert A. Simon (1969).
En proposant l’idée des « sciences de l’artificiel », Simon (économiste, mathématicien, psychologue et l’une des plus importantes figures du paradigme cognitif) souhaitait légitimer le caractère particulier des théories traitant des phénomènes « artificiels » ou « synthétiques », se situant au point de rencontre de la nature et de la culture (y compris culture technique). Ces phénomènes artificiels - ou artefacts - qui vont des outils et machines aux langues et aux arts, relèvent à la fois des lois naturelles, donc nécessaires, et des règles contingentes, liées aux objectifs qui leur ont été assignés lors de leur conception. Les sciences qui permettent de les concevoir décrivent ce que les artefacts (y compris les artefacts symboliques) « devraient être afin d’atteindre leurs buts et de fonctionner » (Simon, 1996/2004, p. 30). Parmi les théories de conception (de « design ») se retrouvent donc aussi bien l’ingénierie, que la médecine, la gestion, l’architecture, la peinture, la musique… Les théories de ce type ne décrivent pas uniquement comment un artefact physique ou symbolique fonctionne, mais aussi comment, quand et pourquoi devrait-on l’utiliser ou l’améliorer.
Ainsi, la théorie de l’enseignement du type « design » vise à offrir « a guidelines as to what method(s) to use to best attain a given goal » (Reigeluth, 1999, pp. 7-8). Inversement, c’est le but visé et les conditions situationnelles qui aident à choisir la méthode optimale parmi celles qui sont connues, à ajuster une méthode existante, ou à en créer une nouvelle. L’appartenance des théories développées dans le cadre du paradigme de la Instructional theory aux théories du type « design » et au domaine de Instructional Design est à l’origine d’un casse-tête terminologique auquel différentes solutions ont été proposées.
Théories et modèles d’enseignement du type COL (Conditions of Learning Theory)
Dans le paradigme de la Instructional Theory, les théories ou modèles d’enseignement réunis sous le vocable commun de Conditions-based theory, ou Conditions of learning theory (COL) occupent une place centrale. Comme le soulignent Richey, Klein et Tracey (2011, p. 104) : « Conditions-based theory is basically a cognitive orientation that is specially pertinent to the selection and design of instructional strategies ». Les chercheurs s’inscrivant dans ce cadre partagent une hypothèse générale qui peut être exprimée comme suit : les activités d’enseignement-apprentissage doivent être conçues de façon à favoriser les conditions d’apprentissage, telles qu’elles sont décrites par les théories cognitives de l’apprentissage.
Notons que la centralité de la relation entre l’enseignement et l’apprentissage dans ces théories et modèles fait que le statut précis des théories COL est parfois discuté : s’agit-il des théories de l’apprentissage ou de l’enseignement ? On peut proposer qu’il est vain de chercher une réponse univoque à cette question, étant donné que les chercheurs s’inscrivant dans le paradigme COL peuvent accorder une importance variable à développer des aspects spécifiquement liés à l’apprentissage ou à l’enseignement, sans que cela se reflète forcément dans la dénomination de la théorie en question.
Par exemple, Jerome Bruner a présenté sa théorie dans un livre intitulé « Toward a Theory of Instruction » (1966), alors qu’elle accorde davantage de place aux processus cognitifs d’apprentissage qu’aux processus d’enseignement.
Les défis du paradigme de la Instructional theory
Une première difficulté inhérente à cette démarche de recherche est le choix et la justification des méthodologies qui seront mises en œuvre pour tester la validité des prescriptions ainsi construites et leur pertinence situationnelle. En effet, la mise à l’épreuve expérimentale, selon la démarche hypothético-déductive, des méthodes d’enseignement est fréquemment critiquée pour son « psychologisme », autrement dit, on remet en question la possibilité et la pertinence des résultats ainsi obtenues pour l’enseignement « réel » en classe.
Un autre défi majeur - lié à la critique précédente - de ces théories est de combler le fossé entre les chercheurs et les praticiens de l’enseignement. Bien que l’existence d’un hiatus entre la pratique et la théorie éducative soit reconnue et déplorée dans plusieurs courants de recherche en sciences de l’éducation, y compris dans le contexte francophone, les chercheurs œuvrant dans le paradigme de Instructional theory ont été la cible fréquente de ce type de critiques. Leur origine peut être située dans l’idée de la division de rôles, qui a marqué les débuts de ce courant de recherche, sous l’influence du béhaviorisme et du paradigme tayloriste du management scientifique de la production industrielle : d’un côté les concepteurs ou les prescripteurs des méthodes, et de l’autre, des exécutants qui appliquent les méthodes (voir par exemple Reigeluth, Bunderson, & Merrill, 1978).
Au fil du temps, les chercheurs souhaitant participer à l’élaboration d’une science de l’enseignement fondée sur la science de l’apprentissage, ont proposé différentes façons de traiter avec ces deux défis. Ils ont réfléchi notamment à l’interaction entre les chercheurs considérés comme producteurs des connaissances scientifiques et les praticiens considérés comme producteurs et usagers des connaissances « pratiques », au moyen de différents dispositifs méthodologiques de recherche et d’intervention dans les milieux éducatifs : recherche-action, recherche collaborative, partenariat de recherche, méthodologies de conception et de prototypage rapide, centration sur l’apprenant, etc.
Vue d'ensemble des revues et des associations représentatives du paradigme de "Instructional theory"
Notes et références
Bruner, J. S. (1966). Toward a Theory of Instruction. Cambridge, MA: Harvard University Press.
Carr-Chellman, A. A. (2004). Instructional Systems, Learning Sciences, Design, Technology: A More Complete Pathway. Educational Technology, 44(3), 40-44.
Clark, R. C. (2008). Building expertise. Cognitive methods for training and performance improvement (3 ed.). San Francisco, CA: Pfeiffer & International Society for Performance Improvement.
Driscoll, M. P. (2000). Psychology of Learning for Instruction (2 ed.). Needham Heights, MA: Allyn & Bacons.
Elen, J., & Clarebout, G. (2008). Theory development. In J. M. Spector, M. D. Merrill, v. M. J. & M. P. Driscoll (Eds.), Handbook of Research on Educational Communications and Technology (3 ed., pp. 705-713). New York-London: Taylor and Francis.
Gagné, R. M., & Briggs, L. (1979). Principles of Instructional Design. New York: Holt, Rinehart and Winston.
Merrill, M. D. (2001). Components of instruction toward a theoretical tool for instructional design. Instructional Science, 29(4/5), 291-310.
Merrill, M. D. (2013). First Principles of Instruction. Identifying and designing effective, efficient and engaging instruction. San Francisco, CA: Pfeiffer.
Merrill, M. D., Barclay, M., & van Schaak, A. (2007). Prescriptive Principles for Instructional Design. In J. M. Spector, M. D. Merrill, J. J. G. van Merriënboer & M. P. Driscoll (Eds.), Handbook of Research on Educational Communications and Technology (pp. 173-184). New York, NY: Routledge, Taylor & Francis Group.
Paas, F., Renkl, A., & Sweller, J. (2003). Cognitive Load Theory and Instructional Design: Recent Developments. Educational Psychologist, 38(1), 1-4.
Ragan, T. J., & Smith, P. L. (2004). False Dichotomies, Red Herrings, and Straw Men: Overcoming Barriers to Facilitate Learning. Educational Technology, 44(3), 50-52.
Ragan, T. J., Smith, P. L., & Curda, L. K. (2008). Outcome-Referenced, Conditions-Based Theories and Models. In J. M. Spector, M. D. Merrill, J. J. G. Van Merriënboer, & M. P. Driscoll (Eds.), Handbook of Research on Educational Communications and Technology (pp. 384-399). New York & London: Lawrence Erlbaum Associates.
Reigeluth, C. M. (1983). Instructional design : What it is and why is it ? In C. M. Reigeluth (Ed.), Instructional design theories and models (pp. 3-36). Hillsdale, NJ: Lawrence Erlbaum Associates.
Reigeluth, C. M. (1999). What Is Instructional-Design Theory and How Is It Changing? In C. M. Reigeluth (Ed.), Instructional-Design Theories and Models, Vol. II: A New Paradigm of Instructional Theory (pp. 1-29). Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum Associates.
Reigeluth, C. M., Bunderson, C. W., & Merrill, M. D. (1978). What is the design science of instruction ? Journal of Instructional Development, 1(2), 11-16.
Reigeluth, C. M., & Carr-Chellman, A. A. (2009). Understanding Instructional Theory. In C. M. Reigeluth & A. A. Carr-Chellman (Eds.), Instructional-Design Theories and Models (pp. 3-26). New York & London: Routledge, Taylor and Francis Publishers Group.
Richey, R. C., Klein, J. D., & Tracey, M. W. (2011). Conditions-based theory. In R. C. Richey, J. D. Klein & M. W. Tracey (Eds.), The Instructional Design Knowledge Base : Theory, Research and Practice (pp. 104-128). New York: Routledge.
Simon, H. A. (1996/2004). Les sciences de l'artificiel (J.-L. L. Moigne, Trans. 3 ed.). Paris: Gallimard.
Smith, P. L., & Ragan, T. J. (2005). Instructional Design (3 ed.). New York: Wiley & Sons.
Sweller, J. (2004). Instructional Design Consequences of an Analogy between Evolution by Natural Selection and Human Cognitive Architecture. Instructional Science, 32(1/2), 9-31.