Différences entre versions de « L'apprentissage dans l'approche cognitive »

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L’approche cognitive de l’apprentissage constitue un élargissement, et parfois une remise en question, du paradigme cognitiviste «classique » de traitement de l’information. Depuis les années 1990, elle prend en considération l’inscription corporelle, sociale et historique de la cognition humaine, de même que son caractère distribué entre les humains et les diverses composantes de l’environnement culturel et matériel.  
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L'apprentissage est un phénomène complexe qui a suscité depuis des siècles l'intérêt des philosophes car il est lié, d'une part, à des questions psychologiques importantes sur la "nature humaine", notamment celles concernant les rapports entre la nature et la culture, l'inné et l'acquis, et, d'autre part, à des questions épistémologiques concernant la connaissance et la possibilité humaine de connaître le monde extérieur. Depuis Descartes, d'autres questions s'y sont ajoutées : celles liées à la remémoration consciente et inconsciente des souvenirs, et, avec Herbart, le rôle de l'inconscient dans l'apprentissage humain..  
  
Les sections suivantes présentent les principales caractéristiques du concept d'apprentissage dans l'approche cognitive.
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L'étude scientifique de l'apprentissage a débuté au XIXième siècle, avec les études expérimentales pionnières de Ebbinghaus sur la mémoire humaine.
  
== Comment définit-on l'apprentissage dans l'approche cognitive? ==
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== Comment définit-on l'apprentissage aujourd'hui ? ==
  
 
Les définitions de l’apprentissage proposées dans les encyclopédies ou dans les manuels en psychologie ou en sciences de l’éducation décrivent habituellement l’apprentissage comme :
 
Les définitions de l’apprentissage proposées dans les encyclopédies ou dans les manuels en psychologie ou en sciences de l’éducation décrivent habituellement l’apprentissage comme :
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*  « L’apprentissage, c’est le changement produit dans le [[comportement]] ou le potentiel de comportement d’un sujet dans une situation donnée par la suite d’expériences répétées du sujet dans cette situation, à condition que ce changement de comportement ne puisse s’expliquer par des tendances innés du sujet, la maturation ou des états temporaires (ex. fatigue, ivresse, moments d’exaltation » (Bower et Hilgard, 1981, cit. par  Goupil et Lusignan, 1993, p. 9).
 
*  « L’apprentissage, c’est le changement produit dans le [[comportement]] ou le potentiel de comportement d’un sujet dans une situation donnée par la suite d’expériences répétées du sujet dans cette situation, à condition que ce changement de comportement ne puisse s’expliquer par des tendances innés du sujet, la maturation ou des états temporaires (ex. fatigue, ivresse, moments d’exaltation » (Bower et Hilgard, 1981, cit. par  Goupil et Lusignan, 1993, p. 9).
  
=== Quelles sont les principales composantes conceptuelles des définitions courantes de l'apprentissage ?===
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== Quelles sont les principales composantes conceptuelles de ces définitions d'apprentissage ? ==
Comme la plupart de définitions du concept de l’apprentissage, les quatre exemples de définitions citées plus haut partagent les idées suivantes :
 
  
*  l’apprentissage est une modification ou un changement constaté chez un « sujet », qui est un être vivant individuel, animal ou homme. Bien que l’approche cognitive étudie également l’apprentissage à d’autres niveaux d’analyse, notamment au niveau de la dyade, du groupe ou de l’organisation et s'intéresse à leurs relations avec l’apprentissage individuel, du point de vue éducatif, on s’entend généralement pour dire que le sujet de l’apprentissage est une personne humaine. Cette perspective se traduit par des affirmations selon lesquelles c’est « l’apprenant qui apprend » (sous-entendu: personne ne peut apprendre à sa place, et surtout pas un enseignant).
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À l'instar de la plupart de définitions contemporaines du concept de l’apprentissage, les quatre exemples de définitions citées plus haut  partagent les idées suivantes :
  
* l'apprentissage est un "produit" ou un "résultat" de l'expérience  mais aussi un « processus » dans lequel l’expérience joue un rôle clé;
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# l’apprentissage est une modification ou un changement constaté chez un « sujet »; dans l’approche cognitive, le sujet est un être vivant individuel, animal ou homme. Bien que l’approche cognitive étudie également l’apprentissage à d’autres niveaux d’analyse, tels que la dyade, le groupe ou l’organisation et leurs relations avec l’apprentissage individuel, du point de vue éducatif, on s’entend généralement pour dire que le sujet de l’apprentissage est un individu particulier. Ainsi, on peut lire souvent les affirmations selon lesquelles c’est « l’apprenant qui apprend » (sous-jacent : personne ne peut apprendre à sa place, et surtout pas un enseignant).
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# l'apprentissage est un "produit" ou un "résultat" de l'expérience  mais aussi un « processus » dans lequel l’expérience joue un rôle clé;
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# l'expérience est décrite généralement en termes de l’interaction du sujet avec le milieu (naturel, social, culturel, historique, etc.) ;
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#  pour être considéré comme relevant de l'apprentissage, le changement ne doit pas résulter principalement ou uniquement de la maturation biologique ou psychophysiologique de l’organisme. Autrement dit, l’apprentissage est de l’ordre de l’acquis et non pas ce celui de l’inné : contrairement aux comportements innés, les comportements appris ne sont pas transmis d’une génération à l’autre par le truchement du code génétique. L’apprentissage de ces comportements doit donc recommencer à chaque génération. Toutefois, l’apprentissage – et la possibilité même de ce que les individus appartenant à une même espèce peuvent potentiellement apprendre  -  dépend inévitablement du bagage génétique de l’espèce et de l’individu.  Les extraordinaires possibilités de l’apprentissage  qui caractérisent l’espèce humaine la distinguent profondément des autres espèces animales.
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# le changement doit être stable, c'est-à-dire perdurer dans le temps et il ne doit pas résulter d’un mécanisme psychophysiologique tel que la fatigue, le stress, ou de l’action d’une substance extérieure agissant sur le comportement ou sur le psychisme;
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# le changement se traduit par un accroissement du répertoire comportemental du sujet ou de ses capacités à réaliser une tâche, autrement dit le résultat de l’apprentissage est considérée comme un « progrès » dans le développement du sujet. L’idée de « progrès » souvent considéré comme une sorte de « meilleure adaptation » à l’environnement, implique un jugement sur la « valeur » de l’apprentissage, et indique l’importance de la dimension éthique et normative du concept d’apprentissage.
  
*  l'expérience est décrite généralement en termes de l’interaction du sujet avec le milieu (physique, social, culturel, historique, etc.) ;
 
  
*  pour être considéré comme relevant de l'apprentissage, le changement ne doit pas résulter principalement ou uniquement de la maturation biologique ou psychophysiologique de l’organisme. Autrement dit, l’apprentissage est de l’ordre de l’acquis et non pas de celui de l’inné. Contrairement aux comportements innés, les comportements appris ne sont pas transmis d’une génération à l’autre par le truchement du code génétique. L’apprentissage de ces comportements doit donc recommencer à chaque génération et pour chaque individu. Toutefois, l’apprentissage – et la possibilité même de ce que les individus appartenant à une même espèce peuvent potentiellement apprendre  -  dépend inévitablement du bagage génétique de l’espèce. Les extraordinaires possibilités d'apprentissage qui caractérisent l’espèce humaine la distinguent profondément des autres espèces animales;
 
  
le changement doit être stable, c'est-à-dire perdurer dans le temps et il ne doit pas résulter d’un mécanisme psychophysiologique tel que la fatigue, le stress, le vieillissement ou de l’action d’une substance extérieure agissant sur le comportement ou sur le psychisme;
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== Un peu d'histoire : le développement de l'approche cognitive de l'apprentissage ==
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Les définitions  citées plus haut décrivent l’apprentissage à la fois en tant que changement dans le comportement (sous-jacent : comportement observable) et dans l’activité psychologique (sous-jacent : inobservable), parfois décrite aussi en tant que « potentiel de comportement » ou « disposition ».  Ces définitions intègrent les acquis des approches psychologique de l’apprentissage qui se sont succédé au XXième siècle : le paradigme béhavioriste et l’approche  cognitive.
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En effet, les principales approches scientifiques de l’apprentissage différent selon qu’elles conçoivent le comportement comme incluant ou non les activités psychologiques « internes » c’est-à-dire « mentales » ou « cognitives »
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* dans le paradigme béhavioriste l’apprentissage est décrit en termes de modification de comportement '''excluant''' les "activités psychologiques";
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*dans l’approche cognitive l’apprentissage est décrit en termes des changements de comportement '''incluant''' des "activités psychologiques".
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Il est important de souligner que, si l’on peut parler du véritable paradigme béhavioriste relatif à l’apprentissage, tel qu’il s’est développé dans la première moitié du XXième siècle en Amérique du Nord, on ne peut en dire autant de recherches sur l’apprentissage qui ont  eu lieu dans la seconde moitié du XXième et qui se poursuivent actuellement.
  
* le changement se traduit par un accroissement du répertoire comportemental du sujet ou de ses capacités à réaliser une tâche, autrement dit le résultat de l’apprentissage est considérée comme un « progrès » dans le développement du sujet. L’idée de « progrès » souvent considérée comme une « meilleure adaptation » à l’environnement, implique un jugement sur la « valeur » de ce qui est appris, et indique l’importance de la dimension éthique et normative du concept d’apprentissage.
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Étant donné la richesse et la diversité des travaux contemporains sur l’apprentissage, il est plus approprié de les considérer comme s’inscrivant dans l’approche cognitive de l’apprentissage,  à l’intérieur de laquelle plusieurs paradigmes  –  y compris le paradigme computo-symbolique, dit aussi « cognitiviste » – ont pu naître, évoluer et interagir en s’opposant et en s’influençant mutuellement. Cette diversité a été et est toujours le résultat des apports théoriques, méthodologiques et empiriques des diverses sciences cognitives (entre autres, psychologie, psycholinguistique, sciences de la communication, informatique, mathématiques, physiologie, philosophie, neurosciences, etc.) ou sciences de la cognition.
  
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L’approche cognitive a redonné aux activités mentales leur légitimité en tant qu’objet d’étude scientifique. Ainsi, on peut considérer que la principale distinction entre le paradigme cognitif et béhavioriste en psychologie est que le premier vise à expliquer l’apprentissage en référant en premier lieu aux activités mentales mises en œuvre pour traiter les informations provenant de l’environnement  tandis que le second le fait en se référant en premier lieu aux activités sensori-motrices « publiquement » observables.
  
== Un peu d'histoire : le développement de l'approche cognitive de l'apprentissage ==  
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Ce changement du point de vue  qui s’est opéré à la fin des années 1950, a été considéré comme un changement conceptuel majeur au pont d’être qualifié de « révolution cognitive ». Il est important cependant de souligner qu’il ne s’agissait pas d’un simple « remplacement » d’un paradigme par un autre. Au contraire, l’approche cognitive a intégré certains aspects importants du béhaviorisme, tout en le dépassant sous d’autres aspects. La  continuité entre le béhaviorisme et le cognitivisme, qui a constitué le paradigme dominant de l’approche cognitive pendant la première moitié du XXième siècle, a été mise en évidence et parfois critiquée par les chercheurs qui ont apporté des contributions importantes à l’approche cognitive, tels que Jerôme Bruner (1991) ou Guy Tiberghien.
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::« Le paradigme cognitiviste n'élimine pas, purement et simplement, le paradigme behavioriste selon lequel le comportement (R) est une fonction des seuls stimulus (S) observables dans l'environnement externe ou le milieu corporel. En réalité, le paradigme cognitiviste assimile, au sens le plus fort du terme, le schéma S-R et l'intègre à son propre paradigme dont il ne constitue qu'un sous-schéma emboîté. En effet le schéma théorique du cognitivisme implique que les comportements et les états mentaux (M) sont une fonction interactive de la variation des stimuli de l'environnement et d'autres états mentaux : R (ou M) = f (S x M'). (Tiberghien,  http://www.isc.cnrs.fr/wp/wp99-7.htm )
  
Les quatre définitions citées plus haut partagent une autre idée importante. Elles décrivent l’apprentissage à la fois en tant que changement dans le '''comportement''' (sous-entendu : phénomène qui peut être observé "publiquement", en anglais on le qualifie aussi de "overt") et dans '''l’activité psychologique''' : mémoire, connaissances, compétences, attitudes, habiletés, potentiel...) (sous-entendu : phénomène inobservable "publiquement", en anglais qualifié de "covert").
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L’apport principal de la « révolution cognitive » a été de proposer des  théories et des méthodes qui ont permis d’étudier scientifiquement, « les comportements et les états mentaux » (considérés par les béhavioristes comme «inobservables »).  
  
Ces définitions intègrent donc des deux grands paradigmes de l’étude scientifique de l’apprentissage qui se sont succédé au XXième siècle : le paradigme béhavioriste et le paradigme cognitif :
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Les recherches sur l’apprentissage ont d’abord été centrées sur les activités mentales étudiées de façon expérimentale séparément des facteurs émotionnels, corporels, sociaux ou historiques. Mais elles intègrent, depuis les années 1990, les dimensions corporelle, sociale et historique de la cognition humaine, de même que son caractère distribué entre les humains et les diverses composantes de l’environnement culturel et matériel.
  
* le [[Béhaviorisme|paradigme béhavioriste]] était centré sur l'étude du [[comportement]] observable, '''excluant''' les "activités psychologiques". Il a permis d'élaborer des connaissances sur les'''apprentissages élémentaires''', dans lesquels les réponses comportementales sont sous le contrôle des stimuli environnementaux et qui sont réalisés sans l'intervention de processus de symbolisation liés au langage.
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L'étude l’apprentissage dans l'approche cognitive renoue aujourd'hui avec les considérations biologiques (les neurosciences renouant également avec la conception béhavioriste soulignant le rôle de l’environnement dans l’apprentissage)  et les considérations culturelles et sociales.  
  
* le paradigme cognitif centré sur l'étude du comportement '''incluant''' des "activités psychologiques". En fait, ce paradigme a proposé qu'il est possible d'étudier scientifiquement non seulement le comportement "observable" mais aussi le comportement "inobservable" car "situé dans la tête" d'un individu. Il est centré sur l'étude des '''apprentissages complexes''' assimilés aux apprentissages "symboliques" car médiatisées par les processus symboliques liés au langage.
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La définition de l’apprentissage proposée par Alexander, Schallert et Reynolds (2012) illustre bien cette approche :
  
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:: «Learning is a multidimensional process that results in a relatively enduring change in a person or persons, and consequently how that person or persons will perceive the world and reciprocally respond to its affordances physically, psychologically, and socially. The process of learning has as its foundation the systemic, dynamic, and interactive relation between the nature of the learner and the object of the learning as ecologically situated in a given time and place as well as over time » (Alexander, Schallert et Reynolds, 2012, p. 186).
  
  

Version du 16 juin 2015 à 15:29

L'apprentissage est un phénomène complexe qui a suscité depuis des siècles l'intérêt des philosophes car il est lié, d'une part, à des questions psychologiques importantes sur la "nature humaine", notamment celles concernant les rapports entre la nature et la culture, l'inné et l'acquis, et, d'autre part, à des questions épistémologiques concernant la connaissance et la possibilité humaine de connaître le monde extérieur. Depuis Descartes, d'autres questions s'y sont ajoutées : celles liées à la remémoration consciente et inconsciente des souvenirs, et, avec Herbart, le rôle de l'inconscient dans l'apprentissage humain..

L'étude scientifique de l'apprentissage a débuté au XIXième siècle, avec les études expérimentales pionnières de Ebbinghaus sur la mémoire humaine.

Comment définit-on l'apprentissage aujourd'hui ?

Les définitions de l’apprentissage proposées dans les encyclopédies ou dans les manuels en psychologie ou en sciences de l’éducation décrivent habituellement l’apprentissage comme :

  • «... toute modification stable des comportements ou des activités psychologiques attribuable à l'expérience du sujet" (Le Ny, 1990, np) ;
  • « ... un changement dans le comportement d’un organisme résultant d’une interaction avec le milieu est se traduisant par un accroissement de son répertoire. (…) tout apprentissage implique évidemment la mémoire et on pourrait soutenir que l’apprentissage et mémoire se confondent.» (Simon, 1991, p. 49);
  • « Chez un individu, modification de sa capacité de réaliser une tâche sous l’effet des interactions avec son environnement. Selon le contexte, le terme désigne le processus ou le résultat du processus. Il est généralement entendu que la modification consiste en un progrès. Dans les sciences de l’éducation, modalité d’acquisition des connaissances, des compétences ou des aptitudes.» (George, 1994, p. 58 );
  • « L’apprentissage, c’est le changement produit dans le comportement ou le potentiel de comportement d’un sujet dans une situation donnée par la suite d’expériences répétées du sujet dans cette situation, à condition que ce changement de comportement ne puisse s’expliquer par des tendances innés du sujet, la maturation ou des états temporaires (ex. fatigue, ivresse, moments d’exaltation » (Bower et Hilgard, 1981, cit. par Goupil et Lusignan, 1993, p. 9).

Quelles sont les principales composantes conceptuelles de ces définitions d'apprentissage ?

À l'instar de la plupart de définitions contemporaines du concept de l’apprentissage, les quatre exemples de définitions citées plus haut partagent les idées suivantes :

  1. l’apprentissage est une modification ou un changement constaté chez un « sujet »; dans l’approche cognitive, le sujet est un être vivant individuel, animal ou homme. Bien que l’approche cognitive étudie également l’apprentissage à d’autres niveaux d’analyse, tels que la dyade, le groupe ou l’organisation et leurs relations avec l’apprentissage individuel, du point de vue éducatif, on s’entend généralement pour dire que le sujet de l’apprentissage est un individu particulier. Ainsi, on peut lire souvent les affirmations selon lesquelles c’est « l’apprenant qui apprend » (sous-jacent : personne ne peut apprendre à sa place, et surtout pas un enseignant).
  2. l'apprentissage est un "produit" ou un "résultat" de l'expérience mais aussi un « processus » dans lequel l’expérience joue un rôle clé;
  3. l'expérience est décrite généralement en termes de l’interaction du sujet avec le milieu (naturel, social, culturel, historique, etc.) ;
  4. pour être considéré comme relevant de l'apprentissage, le changement ne doit pas résulter principalement ou uniquement de la maturation biologique ou psychophysiologique de l’organisme. Autrement dit, l’apprentissage est de l’ordre de l’acquis et non pas ce celui de l’inné : contrairement aux comportements innés, les comportements appris ne sont pas transmis d’une génération à l’autre par le truchement du code génétique. L’apprentissage de ces comportements doit donc recommencer à chaque génération. Toutefois, l’apprentissage – et la possibilité même de ce que les individus appartenant à une même espèce peuvent potentiellement apprendre - dépend inévitablement du bagage génétique de l’espèce et de l’individu. Les extraordinaires possibilités de l’apprentissage qui caractérisent l’espèce humaine la distinguent profondément des autres espèces animales.
  5. le changement doit être stable, c'est-à-dire perdurer dans le temps et il ne doit pas résulter d’un mécanisme psychophysiologique tel que la fatigue, le stress, ou de l’action d’une substance extérieure agissant sur le comportement ou sur le psychisme;
  6. le changement se traduit par un accroissement du répertoire comportemental du sujet ou de ses capacités à réaliser une tâche, autrement dit le résultat de l’apprentissage est considérée comme un « progrès » dans le développement du sujet. L’idée de « progrès » souvent considéré comme une sorte de « meilleure adaptation » à l’environnement, implique un jugement sur la « valeur » de l’apprentissage, et indique l’importance de la dimension éthique et normative du concept d’apprentissage.


Un peu d'histoire : le développement de l'approche cognitive de l'apprentissage

Les définitions citées plus haut décrivent l’apprentissage à la fois en tant que changement dans le comportement (sous-jacent : comportement observable) et dans l’activité psychologique (sous-jacent : inobservable), parfois décrite aussi en tant que « potentiel de comportement » ou « disposition ». Ces définitions intègrent les acquis des approches psychologique de l’apprentissage qui se sont succédé au XXième siècle : le paradigme béhavioriste et l’approche cognitive.

En effet, les principales approches scientifiques de l’apprentissage différent selon qu’elles conçoivent le comportement comme incluant ou non les activités psychologiques « internes » c’est-à-dire « mentales » ou « cognitives »

  • dans le paradigme béhavioriste l’apprentissage est décrit en termes de modification de comportement excluant les "activités psychologiques";
  • dans l’approche cognitive l’apprentissage est décrit en termes des changements de comportement incluant des "activités psychologiques".

Il est important de souligner que, si l’on peut parler du véritable paradigme béhavioriste relatif à l’apprentissage, tel qu’il s’est développé dans la première moitié du XXième siècle en Amérique du Nord, on ne peut en dire autant de recherches sur l’apprentissage qui ont eu lieu dans la seconde moitié du XXième et qui se poursuivent actuellement.

Étant donné la richesse et la diversité des travaux contemporains sur l’apprentissage, il est plus approprié de les considérer comme s’inscrivant dans l’approche cognitive de l’apprentissage, à l’intérieur de laquelle plusieurs paradigmes – y compris le paradigme computo-symbolique, dit aussi « cognitiviste » – ont pu naître, évoluer et interagir en s’opposant et en s’influençant mutuellement. Cette diversité a été et est toujours le résultat des apports théoriques, méthodologiques et empiriques des diverses sciences cognitives (entre autres, psychologie, psycholinguistique, sciences de la communication, informatique, mathématiques, physiologie, philosophie, neurosciences, etc.) ou sciences de la cognition.

L’approche cognitive a redonné aux activités mentales leur légitimité en tant qu’objet d’étude scientifique. Ainsi, on peut considérer que la principale distinction entre le paradigme cognitif et béhavioriste en psychologie est que le premier vise à expliquer l’apprentissage en référant en premier lieu aux activités mentales mises en œuvre pour traiter les informations provenant de l’environnement tandis que le second le fait en se référant en premier lieu aux activités sensori-motrices « publiquement » observables.

Ce changement du point de vue qui s’est opéré à la fin des années 1950, a été considéré comme un changement conceptuel majeur au pont d’être qualifié de « révolution cognitive ». Il est important cependant de souligner qu’il ne s’agissait pas d’un simple « remplacement » d’un paradigme par un autre. Au contraire, l’approche cognitive a intégré certains aspects importants du béhaviorisme, tout en le dépassant sous d’autres aspects. La continuité entre le béhaviorisme et le cognitivisme, qui a constitué le paradigme dominant de l’approche cognitive pendant la première moitié du XXième siècle, a été mise en évidence et parfois critiquée par les chercheurs qui ont apporté des contributions importantes à l’approche cognitive, tels que Jerôme Bruner (1991) ou Guy Tiberghien.

« Le paradigme cognitiviste n'élimine pas, purement et simplement, le paradigme behavioriste selon lequel le comportement (R) est une fonction des seuls stimulus (S) observables dans l'environnement externe ou le milieu corporel. En réalité, le paradigme cognitiviste assimile, au sens le plus fort du terme, le schéma S-R et l'intègre à son propre paradigme dont il ne constitue qu'un sous-schéma emboîté. En effet le schéma théorique du cognitivisme implique que les comportements et les états mentaux (M) sont une fonction interactive de la variation des stimuli de l'environnement et d'autres états mentaux : R (ou M) = f (S x M'). (Tiberghien, http://www.isc.cnrs.fr/wp/wp99-7.htm )

L’apport principal de la « révolution cognitive » a été de proposer des théories et des méthodes qui ont permis d’étudier scientifiquement, « les comportements et les états mentaux » (considérés par les béhavioristes comme «inobservables »).

Les recherches sur l’apprentissage ont d’abord été centrées sur les activités mentales étudiées de façon expérimentale séparément des facteurs émotionnels, corporels, sociaux ou historiques. Mais elles intègrent, depuis les années 1990, les dimensions corporelle, sociale et historique de la cognition humaine, de même que son caractère distribué entre les humains et les diverses composantes de l’environnement culturel et matériel.

L'étude l’apprentissage dans l'approche cognitive renoue aujourd'hui avec les considérations biologiques (les neurosciences renouant également avec la conception béhavioriste soulignant le rôle de l’environnement dans l’apprentissage) et les considérations culturelles et sociales.

La définition de l’apprentissage proposée par Alexander, Schallert et Reynolds (2012) illustre bien cette approche :

«Learning is a multidimensional process that results in a relatively enduring change in a person or persons, and consequently how that person or persons will perceive the world and reciprocally respond to its affordances physically, psychologically, and socially. The process of learning has as its foundation the systemic, dynamic, and interactive relation between the nature of the learner and the object of the learning as ecologically situated in a given time and place as well as over time » (Alexander, Schallert et Reynolds, 2012, p. 186).


Notes et références

George, C. (1994). Apprentissage. Dans Bloch, H., Chemama, R. Gallo, A., Leconte, P. Le Ny, J-F. et al. (Éd). Grand dictionnaire de la psychologie (pp. 58-64). Paris : Larousse.

Goupil, G. et Lusignan, G. (1993). Apprentissage et enseignement en milieu scolaire. Montréal : Gaëtan Morin.

Le Ny,J.-F. (1990), Apprentissage. Dans Encyclopaedia Universalis, Paris. En ligne (accès payant) : http://www.universalis.fr/encyclopedie/apprentissage/

Simon, H. (1991). Apprentissage. Dans Doron, R. et Parot, F. (Éd.) Dictionnaire de psychologie.(pp. 49-52). Paris : PUF.